Assis sur la pelouse, devant l’immeuble, à l’ombre du grand marronnier,
j’attends ma mère. La matinée se termine, dernière semaine d’école. En
septembre, nous serons en sixième, je ne verrai plus Lachenay, notre
instituteur, cette brute crasseuse que nous appelons le père Laqueue.
Petits, nous ne comprenions pas pourquoi les grands du CM2 le surnommaient
comme ça. Ils nous ont expliqué : Ben c’est simple : Lachenay,
ça fait Lacheu, et Lacheu, ça fait Laqueue. Voilà, vous avez pigé, les
merdeux ? Oui, on a pigé. Son prénom, on ne le connaît pas, et d’ailleurs
on s’en moque, c’est le père Laqueue et c’est comme ça. Bientôt je ne le
verrai plus, je ne verrai plus non plus toute cette bande de garçons, ces
camarades que je n’aime pas, à qui je parle le moins possible. Dans la
cour, difficile de s’ignorer. On passe vite pour un crâneur, un intello, un
tordu, et l’école est petite, on ne s’évite pas. Au CM1, j’avais demandé à
Monsieur Barrier, le maître, l’autorisation de rester dans la classe pendant
les récréations : Quelqu’un t’embête, petit bonhomme ?
– Non, personne ne m’embête, mais je m’ennuie.
Ce n’est pas la réponse que j’ai faite, bien sûr, mais je l’ai pensée. J’ai dû continuer à fréquenter les autres, Rinaldi, Colomban, Couttaz. J’ai dû participer aux jeux de billes, au ballon prisonnier. Pas le droit de viser la tête ! Pas le droit de viser la tête, alors que c’est ce que je désire : Dans ta gueule, Rinaldi ! Dans ton pif, Colomban !
Dans ta tronche, Couttaz ! Et crache tes dents ! Si je pouvais… Si j’osais… Avec ce petit ballon de hand dur comme un caillou, en visant bien… L’an prochain, au collège Jules-Ravat, je serai noyé dans la masse. Trouver la paix. Peut-être ne serai-je pas le fils du poivrot. Peut-être ne serai-je personne. Peut-être serai-je enfin oublié.